Le stress, c’est aussi les autres

Extrait du livre « Favoriser le bon stress dans l’équipe » de Gérard Rodach (Eyrolles). Ce livre se veut préventif et non curatif. Travailler sur le stress de son entourage (équipe, collègue) c’est aussi mieux se protéger et aider les autres. Voici une histoire qui illustre les différentes formes de stress. pas si simple : nous sommes stressés, mais parlons-nous de la même chose ?

Un banal repas en famille. Hervé, cadre commercial dans une entreprise de produits alimentaire, décrit à ses cousins, avec passion, sa dernière campagne de ventes : « il fallait faire + 15% dans un climat pourri avec des distributeurs moroses. J’ai réuni mon équipe. Je leur ai dit que nous pouvions y arriver en nous retroussant les manches; Nous avons « bossé » 12 heures par jour. Nous appelions et rappelions nos interlocuteurs. Finalement, cela a payé : nous avons réalisé + 9,8 % ! Le meilleur score de l’entreprise. Je suis fier de mon équipe. J’ai dû les bousculer, les relancer sans cesse. Je suis payé pour cela. Il y a toutefois eu un revers de la médaille. Comme nous n’avons pas atteint l’objectif, ils n’ont eu qu’une partie de la prime. Mais c’est la règle du jeu. » Son cousin, Joachim lui rétorque : « Ton équipe fera mieux cette saison ». Hervé, d’une voix plus lasse, avoue : « Je n’en suis pas si sûr. Les objectifs sont encore à +12%. Deux de mes vendeurs se sont fait porter pâle. Je suis sûr qu’ils en veulent à l’entreprise; j’en ai un autre qui vient de démissionner. Les vendeurs aujourd’hui manquent de coffre. En tout cas, ce n’est pas dans ton administration que tu connais la pression. » Finit-il en souriant moqueusement.

Joachim répond un peu vivement : « Des clichés, tout cela. Nous n’avons pas une pression de même ordre. Ce n’est pas plus facile de changer les habitudes d’agents qui « ont toujours fait comme cela » et à qui on a toujours dit que c’était bien. Maintenant que le discours officiel a changé, ils n’en comprennent pas les raisons et se braquent. Ils sont en plus stressés de peur de mal faire et pendant ce temps là le travail prend du retard. Rien que de penser que demain lundi, il va falloir encore les convaincre, je suis fatigué d’avance. Toi, tu peux les féliciter ou t’en séparer. Pour les miens, je ne peux rien faire : ni prime, ni avertissement. Je me sens impuissant. Et toi Gilles, Cela va pour toi ? »

Gilles, ingénieur dans la mécanique : « Cela va, cela vient. Pour le moment, je peux faire face à la situation. Il y a un an, j’étais comme Hervé : une pression d’enfer pour un projet à terminer dans les temps. J’ai du passer quelques week-ends au bureau avec mes collaborateurs. Je ne te dis pas l’ambiance avec ma famille, mes collaborateurs et leur famille. J’avais leurs conjoints qui m’appelaient pour m’engueuler. J’étais incapable de faire face à la situation sur tous les fronts en même temps. Il y a six mois, alors que tout semblait redevenu normal, une épidémie de grippe m’a cloué au lit. Je n’étais pas le seul. J’étais un lion en cage, parce que je pensais que mon équipe réduite n’arriverait pas à faire face. Maintenant, je ne sais pas combien de temps cela va durer aujourd’hui. J’ai des échos que la direction veut regrouper une partie des équipes sur un autre site. Je ne sais pas quand, ni qui sera concerné. N’en dites pas un mot : ma femme n’est pas au courant. Mes collaborateurs non plus. Je n’en dors plus. Comment leur annoncer ? Je n’aime pas les situations incertaines. C’est ce qui me stresse le plus : attendre et ne rien pouvoir faire »

Hervé reprend : « Je te comprends avec tes hauts et tes bas. Moi, comme je vis constamment sous pression, je prends cela positivement. Je ne suis pas stressé. Un commercial cela marche à la pression. Si nous devions en être malade, nous serions tous morts et enterrés depuis longtemps ! » termine-t-il avec un grand éclat de rire.

Joachim ne l’entend pas de cette oreille : « Non, je pense que toi et ton équipe, vous êtes stressés, mais vous ne voulez pas l’avouer. Tu y es peut-être habitué, tu sais le cacher, mais quand je t’entends parler de ta prochaine campagne, je te sens inquiet à propos de ton équipe. C’est peut-être normal, mais en tout cas cela te travaille. Ne m’interromps pas » dit-il en en voyant Hervé se redresser brusquement sur sa chaise, « Moi, je n’ai pas le même stress que toi. De l’inquiétude comme toi, mais je ne risque pas grand-chose. Au pire, je changerais de poste. En tout cas, ni mon emploi, ni mes revenus ne sont en cause. Cependant, ce n’est pas toujours drôle de travailler avec des collaborateurs qui, à tort ou à raison, hésitent à changer leurs méthodes de travail. Pendant ce temps, mes supérieurs exigent plus de productivité. Etre entre le marteau et l’enclume est une situation difficile ! Et toi Gilles, es-tu stressé ? »

Gilles réfléchit un moment en silence puis dit : « Peut-être par moments, comme lors de mon projet il y a un an. Mais sinon, non je ne pense pas être stressé. En ce moment, hormis les nuages sur l’avenir, moi et mon équipe, nous sommes plutôt euphoriques. Tout le contraire du stress ! Quand nous nous rapprocherons du terme du projet, ce sera peut-être différent. Et puis, il faut savoir de quoi nous parlons en utilisant le mot « stress ».

La discussion devient plus animée entre les cousins, chacun interpellant les autres en leur lançant des questions :

  • Le stress est-il lié à la peur ?
  • Est-ce que cela concerne l’emploi ou le revenu ?
  • L’inquiétude, est-ce du stress ?
  • Peut-on être stressé quand tout va bien ?
  • Peut-on s’y accoutumer ?

Finalement, la discussion s’arrête, faute de réponses aux questions. Vaguement mal à l’aise, les cousins dérivent sur le football, un sujet intarissable et sans danger. Toutefois chacun d’entre eux continue à penser à ce mot « stress » et à se demander s’il l’est.

De retour chez lui, Hervé réalise que son équipe monte en stress avec la progression du sentiment de ne pouvoir faire face aux objectifs. Cette démission progressive de son équipe augmente la pression négative sur lui. Gilles risque lui aussi de voir son stress et celui de son équipe évoluer négativement. Quant à Joachim, si sa situation n’est guère confortable, elle ne le met pas en danger à court terme. Son stress devient négatif à une plus faible échelle aujourd’hui, mais à terme si les règles et les enjeux changent…