Les décisions absurdes (Livre de Christian Morel (Folio, 2004)) 1/2

Il arrive que les individus prennent collectivement des décisions singulières et agissent avec constance dans le sens totalement contraire au but recherché : pour éviter un accident, des pilotes s’engagent dans une solution qui les y mène progressivement ; les ingénieurs de Challenger maintiennent obstinément des joints défectueux sur les fusées d’appoint ; des copropriétaires installent durablement un sas de sécurité totalement inutile ; une entreprise persévère dans l’usage d’un outil de gestion au résultat inverse de l’objectif visé… Quels sont les raisonnements qui produisent ces décisions absurdes ? Les mécanismes collectifs qui les construisent ? Quel est le devenir de ces décisions ? Comment peut-on à ce point se tromper et persévérer ?

Nous sommes quotidiennement confrontés à des décisions qui nous semblent contraires au bon sens. Pour certains de ces choix, cette impression est une simple erreur de perception : ils nous apparaissent infondés parce que nous ne disposons pas des clefs d’interprétations qui nous les rendraient intelligibles. Mais il existe également une catégorie de décisions qui conduisent inévitablement dans le mur et dont on s’étonne, sur le moment et après coup, qu’elles aient pu émerger comme un choix possible. Ce sont à ces décisions absurdes que Christian Morel consacre son essai de sociologie des erreurs radicales et persistantes.

Christian Morel aborde le sujet de manière pragmatique en prenant soin d’illustrer son propos à l’aide d’exemples qu’il décrit et commente longuement, notamment : un accident aérien, l’explosion de la navette Challenger en 1986, la construction du pont de la rivière Kwai ou encore la manière de concevoir des transparent projetables.

Selon l’auteur, les décisions absurdes ont trois origines possibles:

  1. une erreur de raisonnement, une faille logique
  2. un processus de groupe qui conduit à un résultat médiocre ou catastrophique
  3. une perte radicale du sens : on accorde alors plus d’importance au moyen qu’au but, ce qui est soit dit en passant, une des définitions classiques de la sottise en philosophie.

Les points fort de ce livre sont:

  1. la clarté de l’écriture qui, couplée à l’absence de jargon, rend la lecture distrayante,
  2. l’utilisation des exemples qui illustrent le propos de manière idoine
  3. l’approche par le terrain plutôt que par une théorisation de l’erreur

Quelques idées clefs de ce livre

Pour Christian Morel, quelle est la définition d’une décision absurde : des erreurs radicales (obtenir un résultat qui n’est pas conforme au but recherché) et persistantes. Il n’est pas rare d’obtenir un résultat qui n’est pas satisfaisant. Cela devient absurde lorsqu’il y a persistance des processus cognitifs qui engendrent les décisions. Il est intéressant de noter que, pour l’auteur, les erreurs les plus absurdes sont commises lors de réunion d’équipe et/ou hiérarchisée.

Raisonner point par point

Pourquoi ? En psychologie cognitive, il est de plus en plus accepté qu’il est difficile de raisonner sur deux priorités simultanées ou deux étapes consécutives.

Une décision comporte de nombreuses facettes qui se recoupent. Dans le livre, Morel utilise l’exemple d’un pilote d’avion tellement obsédé par le train d’atterrissage qui ne semblait pas s’ouvrir lors des manoeuvres de descente que le fuel vient à manquer tragiquement.

Afin d’éviter une erreur radicale, il est important pour le dirigeant ou le groupe décisionnel de raisonner les priorités une à la fois tout en étant conscient des implications de la seconde priorité. Dans une réunion par exemple, il est important de continuellement maintenir le débat dans le sens de la question soulevée, tout en prenant en note les autres dimensions rapportés par les membres. Ce qui semble être une procédure longue et pénible pour les membres est au contraire une façon de travailler qui porte sens et qui rassure les participants à la réunion car ces derniers sont assurés avant de clore le point que toutes les facettes auront été explorées : une à la fois.

Mercredi prochain, nous aborderons les pièges de la coordination et les facettes organisationnelles de la décision absurde