Sommes-nous tous des Cubains ?

Sous un ciel de diamantsSenel Paz est un auteur cubain contemporain. Dans son roman « Sous un ciel de diamants » (Actes Sud, 2008), il décrit la vie de deux jeunes lycéens dans les années 60 à la Havane.

Voici un extrait qui m’a interpellé, tant sa description me rappelle la vie en entreprise d’aujourd’hui. Sommes-nous tous des cubains ? 

 Tout le monde émettait des jugements sur tout le monde… et ces opinions allaient grossir un dossier, TON dossier qui te suivrait toute ta vie comme une seconde ombre, et si un jour tu manifestais l’envie d’acheter une voiture, par exemple, on commencerait par examiner ton dossier où en étaient tes mérites, et l’acquisition du véhicule ou de n’importe quoi dépendrait plus de cette consultation que de tes disponibilités.

Par ailleurs, avoir un bon dossier n’était pas la mer à boire. Tu devais montrer que tu avais une personnalité comme tout le monde. Pas question de jouer les introvertis, les différents ou spéciaux. Les introvertis, ils sont cachent quelque chose ; les spéciaux, ils sont prétentieux et les différents, francophiles (sic)… Tu t’entendras bien avec ceux d’en haut, mais aussi avec ceux d’en bas. Ces derniers diraient en A.G que tu les traitais d’égal à égal et que tu t‘intéressais à leurs problèmes.

Une autre qualité était ta disposition à être volontaire pour n’importe quoi et n’importe quand. Ensuite, tu t’arrangerais pour que ton chef, avec qui tu entretiendrais d’excellentes relations, te considère irremplaçable à ton poste, car pour les campagnes de ce genre, c’est l’intention qui compte.

Il est déterminant qu’on ait connaissance de ta conviction profonde et absolue concernant la supériorité et l’irréversibilité du socialisme, car le moindre doute à ce sujet serait gravissime, et une fois établi particulièrement difficile à dissiper. […] Comme il ne s’agissait pas d’être accusé de dogmatisme ou d’avoir un bandeau sur les yeux, tu pourrais admettre en petit comité, entre camarades et personnes de confiance, que notre société n’est pas parfaite, tu reconnaîtrais même les erreurs, comme l’invasion de la Tchécoslovaquie, mais toujours à propos de l’Europe de l’Est, jamais à propos de Cuba.