Tu veux faire de la finance ? Deviens géologue…

Nous avions déjà eu l’occasion de parler dans ces colonnes de la révision déchirante que nous devons faire à propos de l’usage des statistiques en économie (cf. l’article sur le livre de Nicholas Taïeb « le cygne noir » http://www.herculemartinmanager.com/index.php/2008/05/31/201-le-cygne-noir-fiche-de-lecture-1-2). Les incidents financiers et économiques que nous avons connus ces dernières années n’ont en effet guère été prévus par les indices traditionnels. Quelles méthodes devons-nous alors utiliser ?

Certaines institutions ont commencé un travail de recherche de nouveaux indicateurs, d’où l’intérêt depuis quelques temps de l’indice de confiance des entrepreneurs belges (entre autres) : leur économie étant basée sur des produits plus élaborés que les nôtres, leur anticipation du mouvement des affaires est de bien meilleure qualité que nos indices actuels.

D’autres organismes vont maintenant plus loin en s’intéressant…aux catastrophes naturelles, telles que les tremblements de terre ou les tsunamis. Les scientifiques, dans ces domaines, travaillent sur des univers qui ne sont ni transparents, ni ne tendent, par définition, à aller vers l’équilibre. Au contraire, ils analysent des phénomènes qui sont très difficile voire quasi impossible à produire puis qu’ils résultent de nombreux agents interdépendants et d’une cascade d’évènements dans un environnement instable qui génère de larges variations.

Ces chercheurs utilisent de plus en plus une loi de puissance (« power law »). Il s’agit d’un type particulier de relation mathématique entre deux grandeurs. De quoi s’agit-il ? Si une quantité est la fréquence d’un évènement, la relation est une loi de distribution, et la diminution des fréquences est en rapport avec la taille des évènements. Cela donne, non une courbe en cloche, mais un nombre élevé suivi d’une longue queue d’évènements de plus en plus rare mais aussi plus puissant. Par exemple, la probabilité d’un tremblement de terre deux fois plus important est quatre fois plus rare. Ainsi, si de 1993 à 1995, la Californie du Sud a connu 7.000 micro tremblements de terre (Notés 2 sur l’échelle de Richter), l’extrémité de la queue statistique a été atteinte en 1994 avec un séisme de 6,4. La loi de puissance permet décrire des phénomènes pour lesquels aucune échelle ne caractérise le système.

Cette loi se retrouve dans de nombreux domaines scientifiques, dont l’économie. Elle a pu être appliquée dans des domaines aussi divers que la variation de la production industrielle américaine ou… les faillites dans le système bancaire. Cela nous suggère que l’économie, comme d’autres systèmes complexes, est instable et sujette à de fortes tensions.

Quelles leçons en tirer pour la stratégie ? En voici quelques-unes :

  • Faites du système global, l’unité d’analyse : vous ne pouvez apprécier le comportement d’une société sans prendre en compte la performance du système dans lequel elle est imbriquée
  • Ne rêvez pas de stabilité : il y a toujours des corrections plus ou moins fortes en économie.
  • Ayez un regard suffisamment long sur le passé : 20, 30, voire 50 ans sont des périodes de temps à prendre en compte.
  • Recherchez des signaux annonciateurs : tout comme les scientifiques recherchent des moyens de prédire les séismes, concentrez-vous sur les indicateurs de tendance.
  • Construisez des modèles flexibles : au lieu de rechercher le modèle qui maximise le meilleur scénario possible, donnez le maximum de flexibilité à votre système : délocalisez, sous-traitez, répartissez vos risques sur différents produits, différents marchés…
  • Apprenez des scientifiques travaillant sur d’autres univers complexes.

Futurologie ? Le nouveau responsable de l’observatoire de la crise financière à Zürich est un géophysicien spécialiste des tremblements de terre, c’est tout dire…