Apprendre, pour aller où ?

Dans un conte fantastique, Chamisso (1781-1838)   met en scène un homme, errant sans le sou, muni d’un mince bagage. Un jour, un vieillard lui propose un étrange marché : une bourse magique avec de l’or à volonté contre son ombre. Qui s’occupe de celle-ci ? Le jeune homme accepte et le diable (car il s’agit de lui) enroule son ombre et l’emporte.

Sur le moment, le jeune homme n’y voit que des avantages. Ce sont les autres qui lui font comprendre l’amputation qu’il vient de subir. Partout où il va, il suscite incrédulité et horreur. Ce garçon qui, avant même sa mésaventure, se trouvait peu visible, rêve désormais d’être à nouveau comme tout le monde, c’est-à-dire perdu dans la masse, non pas en se retranchant, mais en se complétant, en bref d’être comme tout le monde en apportant sa différence. Il incarne le conflit de nos sociétés modernes où chacun veut être remarqué et passer inaperçu, unique et comme les autres.

Nos vies ne sont pas des contes fantastiques mais nos destins ont un point commun. Dans nos vies professionnelles et sociales, nous changeons constamment d’identités, nous enchaînons des rôles, nous collectionnons des avatars, tous ceux que nous aurions pu être, mais que nous ne sommes pas. Nous explorons des potentialités que nous portons en nous et projetons quelque chose d’intime enfoui au plus profond de nous.

Appendre, ce n’est pas seulement emmagasiner des connaissances. C’est aussi apprendre ce pourquoi on est fait, car nous sommes tous des génies, et nous avons un rôle à jouer parmi les autres. Lequel ? C’est à la fois à nous de le chercher en nous et d’apprendre à le réaliser.

Un constat personnel : j’ai mis des années à trouver mon « génie » et j’aide aujourd’hui les autres à trouver le leur. Mon expérience me conduit à dire qu’il est comme le nez au milieu de la figure. Il est là, mais nous ne le savons pas alors que tout le monde autour de nous le voient.

Alors, apprendre, c’est aussi trouver le chemin qui nous correspond.

Adapté d’une réflexion de Christophe Boltanski dans « Les vies de Jacob », Stock, 2021