De la négociation au don

 La revolution du don

Jean-Edouard Grésy vient de co-écrire avec Alain Caillé « La révolution du don, le management repensé » aux éditions du Seuil. Ils y expliquent comment le don s’oppose à la négociation. Donner c’est faire confiance, ce fameux ingrédient, que tout le monde réclame mais que peu finalement savent susciter. 

 La logique du don repose sur un pari de confiance. Quand on donne, on ne sait pas qui nous rendra, ni quand, ni quoi. Dans certains cas, on ne sait même pas si on nous rendra quelque chose un jour. Pour autant, le fait de donner de manière inconditionnelle n’est pas dénué de l’espérance d’un retour.

 Un exemple pris dans le monde du travail sera éclairant. Imaginez une personne qui démarre une relation de travail et qui va demander à un collègue de l’aider. Ce dernier va le faire, passer deux heures alors que ça ne figure pas sur sa fiche de poste. C’est un don.

 Si le bénéficiaire se sent redevable, le jour où la personne qui lui a rendu service lui demandera un coup de main, il acceptera. Au don succède un contre-don.  Au fur et à mesure que se construisent les relations entre les personnes, il va y avoir accélération et une multiplicité d’échanges si bien que l’on ne sait plus distinguer qui donne et qui reçoit.

 Certains bénéficiaires peuvent refuser de bonne foi le contre-don, tout simplement parce qu’ils n’ont pas saisi qu’il y avait un don au départ.  C’est pour cela que l’on dit que le mot le plus important dans le management c’est merci. On reconnaît le don, on exprime de la gratitude pour son partage de compétences, d’idées ou d’infos, pour son soutien, son écoute… N’oubliez pas que plus de la moitié des cadres estiment qu’ils ne sont pas reconnus dans leur travail. Autrement dit, ils considèrent que leurs dons sont tout simplement ignorés.

 Il y a un vrai danger si le don va trop loin, on tombe dans le risque de burnout. On sort du don pour entrer dans une logique de sacrifice. Les entreprises ne doivent pas en abuser. C’est un écosystème très fragile. En effet, le don est un pari sur la durée. La pression du temps, le reporting est parfois tel aujourd’hui que celui qui donne n’est pas sûr qu’il ait le temps de recevoir en retour. C’est un véritable risque que prennent les directions d’entreprise. Elles pensent gagner à court terme en gérant mieux leur capital. Finalement, elles y perdent beaucoup.

 Les travaux de Dan Pink sur les motivations sont éclairants. Il a montré que longtemps les entreprises ont joué sur les motivations extrinsèques, soit la carotte et le bâton. Or ce qui crée la performance, l’innovation, ce sont les motivations intrinsèques, comme l’autonomie, le sens qu’on trouve à ce qu’on fait, la maîtrise que l’on a de son travail. Donc si vous voulez avoir des équipes motivées et créatrices, il ne faut pas abuser des outils qui demandent un retour sur investissement trop rapide. Un test a été fait dans plusieurs pays où on soumet un problème à résoudre à trois équipes. Dans l’une, la prime est nulle si on trouve. Elle est moyenne dans la seconde et élevée dans la dernière. Les plus rapides sont… les premiers, car ils le font juste pour le plaisir. Appliqué au travail, cela montre quelle est la véritable source de la coopération efficace et du travail pris à cœur. Pour autant, créer les conditions favorables à une logique du don ne peut se faire au détriment d’une juste rémunération.

 Adapté d’une interview parue dans « Usine Nouvelle » signée Christophe Bys