Il n’y a plus rien à inventer

Sommes nous dans un siècle fini où tout a été trouvé ? Nous en avons parfois l’impression en écoutant les commentaires désabusés sur la fin d’une époque. Oui, mais…

« il n’y a plus rien à inventer » se lamentait Fabien. A 30 ans, il se voyait un avenir sombre. « Tout a déjà été inventé. J’ai plein d’idées, ou plutôt j’ai eu plein d’idées, mais on me les a « volées ». Quand j’étais en fac, j’avais imaginé et réalisé un site de partage entre copains…et puis Facebook est arrivé ! Quand j’ai commencé à travailler, j’ai commencé la rédaction d’un livre sur les emmerdeurs au bureau. J’avais presque terminé quand est paru « Sales, … » J’ai plein d’autres idées, mais dès que je les développe, je les trouve sous forme d’écrits, d’images, de film… J’aurais du naître 30 ans plus tôt. J’aurais eu du succès alors qu’aujourd’hui tout existe.

Chaque jour, au gré de ses tâches, de ses lectures ou des images qu’il parcoure, il répète sans cesse : « Cela existe ! Dire que j’y avais pensé ! J’arrive trop tard ! » Il réfléchit à une situation et trouve la synthèse de ses idées quelques heures plus tard dans un article de journal. « A quoi cela sert de penser ? Quelqu’un l’a déjà fait avant moi ». Il en parle à ses amis et à ses collègues. Beaucoup lui disent la même chose : « nous sommes une génération perdue. Tout est inventé. A nos ancêtres et parents la gloire, à nous l’exécution ».

Ce lundi-là, en allant travailler, il n’est guère plus heureux que les autres jours. Il vient d’entendre à la radio que l’idée géniale qu’il a eu durant le week-end fait un « tabac » depuis quelques semaines. « Celle-là je l’ai ratée de peu ! » Il en parle avec un de ses collègues qui lui dit avoir le même sentiment. Son collègue lui explique son propre projet et ce qu’il a trouvé de similaire sur le marché : « rien à faire de plus ! ». Fabien s’en étonne et lui propose dix pistes de réflexion pour améliorer ce qui existe ou faire différemment. Son collègue ne cesse de lui dire « Oui, mais… ». « Il a de la chance » se dit Fabien, « il a un projet qui tient la route, mais pourquoi est-il aussi négatif : il ne cesse de réfuter toutes les idées qui lui sont soumises comme s’il ne voulait pas, dans le fond, faire son projet ». A l’heure du déjeuner, une de ses collègues lui raconte qu’elle aimerait offrir un service sur internet pour les particuliers. Comme Fabien y prête attention, elle développe son idée. Fabien, conquis, s’emballe et l’incite à passer à l’acte. Toutefois, à chaque suggestion de sa part, elle ne fait que répondre : « oui, mais je n’ai pas d’argent; oui, mais je n’ai pas les moyens; oui, mais le risque est trop grand, … ». « Dommage pour elle » se dit Fabien. L’après-midi, lors d’une réunion de travail au bureau, il se fait souffler la vedette par un collègue qui propose avant lui une idée qu’il avait en tête. « J’ai trop attendu pour la dire. J’aurai du le faire dès que je l’ai eu. Tant pis pour moi » se dit-il en voyant son collègue chaudement félicité par tout le monde.

La fin de la journée est tout aussi grisâtre que d’habitude. Il voit des publicités pour des produits qu’il a imaginé, des articles de journaux qui développent ses propres réflexions, … Rentré chez lui, tout en conversant tranquillement avec sa compagne, il imagine un nouveau type de jeu de société. Poussée par cette dernière à le breveter et à le proposer à des industriels, il lui répond tristement : « oui, mais cela existe sûrement; oui, mais personne n’en voudra; oui, mais… »

Il n’y a plus rien à inventer ! Oui, mais…