Je suis impatient de tout reporter au lendemain

Nous pouvons être à la fois impatients de voir le résultat de changements et dans le même temps, être prêts à remettre au lendemain leur mise en œuvre. Mais si les personnes sont si impatientes de voir des résultats, pourquoi ne sont-elles pas aussi impatients que les réformes indispensables à les obtenir soient engagées ?

Dans un article paru dans Les Echos (jeudi 14 février 2008), Jacques Cremer et Christian Gollier nous présentent les travaux d’Ernesto Reuben, Paola Sapienza et Luigi Zingales sur les comportements collectifs et les comportements individuels. Leur thèse : les individus sont impatients, ils ont une préférence forte pour les satisfactions immédiates. Beaucoup de personnes préféreraient attendre dix-huit mois pour dîner dans un restaurant trois étoiles plutôt que d’attendre douze mois pour dîner dans un deux-étoiles. Mais elles préfèreront dîner ce soir au deux-étoiles plutôt qu’attendre six mois pour le trois-étoiles !

De même, beaucoup d’entre nous ont tendance à remettre au lendemain ce que nous devrions faire aujourd’hui. On a pu par exemple mettre en évidence que le fait de forcer des individus à décider immédiatement de la souscription à un plan d’épargne retraite plutôt que de leur laisser le choix de le faire dans un futur indéterminé accroissait le taux d’acceptation.

Reuben, Sapienza et Zingales mettent en évidence que ces deux comportements sont liés. Plus les individus sont impatients, plus ils ont tendance à remettre au lendemain les tâches déplaisantes. Théoriquement, cela se comprend. Si on préfère goûter aux plaisirs de la vie tout de suite, on remettra aussi au lendemain ce que l’on n’a pas envie de faire. Pour tester ce lien, ces auteurs ont proposé à 450 étudiants, qui avaient gagné un prix dans un jeu fait en cours, s’ils préféraient être payés immédiatement ou recevoir deux semaines plus tard un chèque d’un montant plus élevé. Les étudiants les plus impatients veulent recevoir le chèque immédiatement, et, comme ils sont les plus procrastinateurs, ils mettent plus longtemps avant de l’encaisser !

Ce qui se passe à l’échelon individuel semble se refléter au plan collectif. Rares sont les vraies réformes qui n’imposent pas un coût immédiat pour donner un bénéfice futur. Nous avons tendance à nous dire : j’aimerais bien que cette réforme soit faite dans six mois plutôt que dans douze. Mais quand les six mois sont écoulés, nous nous demandons si on ne peut pas la retarder un peu. Et nous nous heurtons à une règle inflexible : il est impossible d’avancer la date des bénéfices en reculant simultanément les coûts.

Ces tendances psychologiques individuelles sont renforcées par certains aspects de la vie professionnelle ou politique : le manque de confiance qui fait douter de la réalité des résultats futurs, le processus des résultats qui pousse les responsables à promettre plus qu’ils ne peuvent tenir, le fait que les coûts ne sont pas répartis dans la population en proportion des bénéfices. Il est aussi vrai que les managers les plus politiques savent combiner des mesures à effet immédiat, même si elles sont superficielles, et des réformes plus profondes.

Mais nous pouvons sans doute mieux faire dans notre discours sur les réformes, d’abord en rendant explicite le temps nécessaire à leur mise en place et à la diffusion de leurs effets bénéfiques. Nous devons aussi être capables de nous imposer des contraintes pour nous obliger à agir. Les contraintes européennes, environnementales ou de la compétition remplissent ce rôle dans un certain nombre de domaines – il faut jouer d’imagination pour nous en donner plus. Certes, nous ne changerons pas la psychologie fondamentale qui fait que chacun d’entre nous veut remettre à plus tard les tâches désagréables, mais nous pouvons lutter contre les blocages qui renforcent cet effet.