L’excellence en entreprise a-t-elle un coût ?

Relisons des classiques : aujourd’hui « le coût de l’excellence » de Nicolas Aubert et Vincent de Gaulejac (Editions du Seuil, publié en 1991 et constamment réédité depuis)

Depuis les années 80, nous vivons dans le monde dit développé (USA, Europe Ouest, Japon), la convergence et l’opposition de deux tendances : d’une part, un mouvement qui apporte un style de management conduit par la quête émergente d’une qualité totale, de la perfection traduite par le zéro défaut, et d’une volonté d’excellence dans un esprit compétitif. D’autre part, et parallèlement à cette course à l’excellence, l’entreprise se pose nouvellement comme lieu de développement individuel de ses agents à la recherche d’un idéal. La logique individuelle passe par la quête de soi au travers de l’organisation.


Dans ce contexte, les auteurs se posent trois questions :


  • Dans une organisation en quête d’excellence, quels sont les coûts et les répercussions de cette course à l’excellence sur les agents de l’entreprise ?
  • Quelles sont les conséquences de trop de tensions entre les exigences de l’entreprise et les aspirations personnelles des individus ?
  • Enfin, pourquoi et comment certains des individus de l’entreprise en viennent à ne plus pouvoir satisfaire les exigences de l’entreprise, voire à développer des processus pathologiques manifestant des maladies de l’excellence ?

Ce livre développe abondamment les réponses à ces questions; permettez-moi de me centrer sur un point qui m’intéresse particulièrement : quel impact, ce mouvement, initié aux USA et au Japon, a-t-il sur le manager français ?

Il faut bien prendre en compte que nous n’avons pas tous la même conception de l’entreprise : la conception anglo-saxonne considère l’entreprise comme un lieu d’organisation rationnelle portant en même temps une dimension de vérité et une établissant une distinction entre gagnants et les perdants dans cette lutte compétitive.

La conception asiatique de l’entreprise intègre un modèle de comportement lié aux notions de destin et de devoir, plus que sur la notion de droit. La forte population japonaise implique une concurrence très élevée entre ses individus dans un environnement imprégné de la nécessité de survie, mais la lutte fratricide est évitée par l’ancrage d’un sens du devoir très profond. Ce respect du devoir est soutenu par une culture apportant ses modèles comportementaux : le shintoïsme avec les notions de fidélité et obéissance, le confucianisme met l’accent sur le consensus et l’harmonie dans les relations sociales, et le bouddhisme apporte une philosophie de non-soi.


Le modèle français intègre plutôt une attitude visant à atténuer les conflits dans la concurrence, et privilégie d’avantage la qualité de vie et l’égalité à la réussite économique. Un autre obstacle à la performance réside dans un fort respect de la dignité individuelle par lequel chacun tend à vouloir faire son chemin sans se soucier de ce que pense son entourage.

Pour pallier cet individualisme obstacle aux objectifs de l’entreprise, bon nombre de projets en France émergent et tentent d’instaurer une communion identitaire par la mise en avant de valeurs porteuses de dynamisme, de principes d’actions plus directifs, et par intégration des impératifs concurrentiels avec les mêmes procédés de diffusion que les modèles anglo-saxons, efficaces lorsqu’ils sont connus et acceptés de tous. Ces projets présentent une éthique de travail visant en quelque sorte à sauver l’entreprise d’une mise à l’écart imposée par ses concurrents internationaux.

Ce nouveau mode de management repose également sur une vision positive du monde et un projet d’avenir crédible dans une tradition française du travail bien fait et du compagnonnage. La présence des managers est réelle, et c’est aussi au leader charismatique que l’on cherche à ressembler. Egalement, les démarches de recherche de qualité totale se sont étendues jusque dans les entreprises françaises, à partir desquelles la logique de la performance commence à diffuser dans la sphère sociale et individuelle, mais aussi dans celle de l’administration qui était initialement hostile à ces nouveaux modes de management.

Dans ce contexte, quel est l’image projetée du manager français ? Quelles conséquences ont la pression et la guerre économique sur ce modèle ? C’est ce que nous développerons dans notre prochain billet (à paraître mercredi)