Le changement a-t-il le même goût selon les générations ?

Nous vivons dans une période de changement continu. Un changement est à peine entamé qu’un autre se profile à l’horizon. Finalement ce changement permanent fait que nous avons l’impression d’un changement perpétuel.

Cela nous rappelle une scène du livre (et / ou du film) « le salaire de la peur » de Georges Arnaud. Les routiers conduisent un camion rempli de nitroglycérine dans la cordillère des Andes. La moindre secousse violente peut tout faire sauter. Lorsqu’ils arrivent à l‘approche d’une route en tôle ondulée, ils savent par expérience qu’il faut l’aborder, ni trop lentement (il faudrait rouler au pas et cela prendrait des heures), ni trop rapidement (ils perdraient le contrôle du véhicule). Leur vie est dans le mouvement à la bonne vitesse. Cet épisode est très illustratif de notre époque. Quelle est la bonne vitesse ?

Entre des mouvements politiques (et syndicaux) qui prônent d’avancer à reculons et ceux qui plébiscitent la vitesse et l’ouverture à tous crins, les hommes (et les femmes) qui vivent en entreprise ne peuvent qu’être effarés : ils savent d’instinct qu’il n’est guère possible de reculer et que cela les condamnerait à moyen terme. D’un autre côté, ils n’ont pas forcément confiance dans les discours libéraux. Les conseillers ne sont pas les payeurs : ils ont peur d’être les dindons de la farce. Il en ressort un grand décalage entre les discours médiatiques (d’un bord ou de l’autre) et la réalité perçue par tout un chacun.

Cette réalité, parlons-en : quelle est-elle ? Elle est variée et variable. Caricaturons la : un grand nombre de personnes issues du baby boom n’ont pas eu trop de mal à entrer dans la vie active, ont vu à peu près correctement leur carrière, mais vivent dans l’angoisse, ces dernières années, d’atteindre « indemne » l’âge de la retraite. Celle-ci arrive (ou est déjà arrivée) et les perspectives de montant de retraite sont correctes (pour le moment). Pour cette population, rien ne doit (trop) changer avant la retraite. Le changement est pour les autres (et après eux). Nous le voyons dans toutes sortes de milieux : les entreprises de services où les jeunes occupent les postes à risques (physiquement ou au téléphone), l’enseignement où les plus expérimentés sont dans les postes les plus calmes…

Un deuxième groupe est constitué de ceux entrés sur le marché du travail dans les années 80-90. Ils ont eu plus de mal à y entrer et voient avec désespoir le seuil de la retraite reculer. Les postes supérieurs sont bloqués par la génération précédente (conséquence indirecte de l’aplatissement des organigrammes). Ils ont l’impression d’avoir beaucoup donné sans être sûr de passer le prochain obstacle. Plus cela va, plus ces obstacles sont hauts : qui aurait pu dire que la Chine et l’Inde deviendraient aussi vite des rivaux ?

Enfin, un troisième groupe est celui des jeunes entrés récemment (ces 5 à 10 dernières années) sur le marché du travail. Pour eux, le monde du travail est sans pitié. Diplômés ou non, ils vivent au début de leur carrière quelques années de galère dans des contrats temporaires ou des stages sous-rémunérés. Une grande banque française a reconnu utiliser 3.500 « stagiaires » à l’année. Une société de sport bien connu n’a plus recruté en CDI depuis 5 ans et fait appel chaque année à une soixantaine d’étudiants (marketing, commercial, ingénieurs) pour des stages d’un an rémunéré en dessous du smic, et sans espoir d’embauche. Pour ces jeunes, leur avenir n’est pas clair. Combien arriverons à trouver un emploi stable ? Auront-ils un jour une retraite ?

Dans ces conditions, pouvons-nous encore parler de changement ou des changements ? La question ici n’est pas de savoir si ces changements sont positifs ou non. Cela dépend de la perspective de chacun, de la situation vécue et du contexte. Simplement, la véritable interrogation que nous pouvons avoir est de savoir comment mieux le vivre.

Il est en effet intéressant de constater que si nous n’apprenons pas à vivre dans le changement, notre environnement, lui non plus, ne nous y invite guère. Sur un plan personnel, la majorité des êtres humains aspirent à un certain statu quo, en bref, à un univers compréhensible et lisible. Sauf pour une minorité ou lorsque la situation nous est favorable, le changement est ressenti comme quelque chose de difficile, pénible, au moins pendant une période. L’environnement ne nous y aide guère. Dans certains pays où le taux de chômage est bas, où les incitations et les aides pour retrouver de travail sont fortes, les changements de situation sont mieux vécus. A l’opposé, en France, où tout est fait pour protéger les emplois et pour assister les gens sans emplois, le taux de chômage reste élevé et les réticences des entreprises à embaucher plus grande. Nous n’avons guère de solutions au plan macro-économique. Laissons cela aux politiques et aux syndicats ;

Par contre, nous pouvons être d’un meilleur apport sur le plan personnel. Si le changement n’est pas facile à vivre, cela peut s’améliorer par la réflexion et des apports complémentaires. Après tout, le changement nous le vivons à tout moment : nous avons grandi et nous avons changé, et nous avons vécu de nombreux changements. Nous avons eu des enfants et ils nous ont fait vivre des changements.

Une anecdote : je travaillais avec des responsables d’unités techniques de services après-vente. Ils étaient en rapport avec la clientèle au quotidien. Ils pestaient contre les exigences croissantes des clients. Je les laissai s’exprimer, puis une demi-heure, je les interrogeai sur leurs modes d’achat : achetaient-ils leurs biens onéreux de la même manière qu’autrefois. Ce fut là aussi unanime : ils estimaient avoir le choix, alors ils étudiaient le marché, comparaient et étaient exigeants. Moralité : leur main droite ne savait pas ce que faisait la main gauche.


Il est possible d’apprendre à vivre le changement en partant de l’expérience personnelle…