Les décisions absurdes, livre de Christian Morel (Folio, 2004) (2/2)

Quels sont les raisonnements qui produisent ces décisions absurdes ? Les mécanismes collectifs qui les construisent ? Quel est le devenir de ces décisions ? Comment peut-on à ce point se tromper et persévérer ?

Il faut tenter d’éviter les pièges de la coordination

« Pour prendre une décision collective, les individus doivent se coordonner entre eux. Pour assurer cette coordination, ils utilisent des processus. Or ces processus peuvent être des pièges. » Ainsi débute le chapitre sur les pièges de la coordination dans une entreprise. Un dirigeant doit s’assurer de connaître les deux principaux pièges relevés par l’auteur : le malentendu du silence et les réunions de coordination qui ne sont que des réunions d’information descendante.

Morel dans son livre se sert de l’exemple de la compagnie Coca-Cola lors de la mise en marché du « Coke Nouveau ». Lors d’une réunion extraordinaire des directeurs généraux de la compagnie, le président de l’époque distribua un verre du Coke nouveau à ces derniers. Il appert que les directeurs trouvèrent le goût plutôt ordinaire. Mais les directeurs n’apportèrent aucun commentaire, et le président de la compagnie ne put percevoir leur malaise. Le Coke nouveau fût adopté et la débandade de Coke commença. Comme le mentionne Morel : « Le silence entraîne l’illusion de l’illusion de l’unanimité ». Cet exemple est très formateur.

Il faut faire également attention pour ne pas transformer les réunions de coordination comme des temples de l’acceptation silencieuse. Il serait si facile pour un responsable de mener des consultations basées sur l’illusion de l’unanimité. Un régime froid et rigide dans l’animation des réunions de coordination fera en sorte que les membres ne voudront pas « immédiatement » soulever des désaccords potentiels. Ainsi le directeur ressort de sa réunion avec la conviction de consultation.

Prendre une décision absurde : de nombreuses facettes organisationnelles

Prendre une décision absurde (contraire au but recherché), comporte une dimension politique, composite, intersubjective et temporelle.

Tout d’abord, il est fréquent de considérer le facteur politique de l’implication de tous les membres rapidement pour le « bien-être » de prendre une décision. Combien de fois pouvons-nous entendre dans une organisation : allez on se mobilise et on fait « n’importe quoi » pour se mobiliser (ou perdre cette mobilisation). Cette mobilisation de tous les instants est un facteur de prise de décision absurde.

Ensuite, nous savons tous que la division du travail peut apporter à une organisation son lot de décisions absurdes. On pense aux douze travaux d’Astérix avec les formulaires qui se multiplient. Les réunions de coordination peuvent être des pièges (voir plus haut) et lors de ces réunions, il n’est pas rare que des considérations intersubjectives peuvent arriver. Le silence, le type d’animation dans les réunions, le temps consacré à l’analyse des données… de nombreux pièges pour un animateur.

Finalement, le temps. Avec le temps on semble oublier l’absence d’objectifs ou l’erreur initiale; on s’habitue progressivement à la solution déconnectée. Cette solution fait partie d’un compte-rendu de réunion. Elle est déposée sur une tablette (en ce qui concerne son sens), mais elle est appliquée. Il faut une force considérable afin de revenir sur le sens de cette décision. Une force comme une gaffe politique en utilisant cette décision.

Le dernier volet du temps et des décisions absurdes concerne le moment octroyé aux explications des facettes de tous les sous-groupes impliqués dans une décision. Il est impossible pour tous les groupes impliqués dans une décision de prendre le temps d’expliquer aux autres groupes le pourquoi de son action dans la prise de décision. Le département du service « x » ne peut pas perdre le temps d’expliquer au département « y » les facettes de ces prises de décision. Les départements useront un langage organisationnelle basé sur l’anticipation convergente.

Morel explique en conclusion de son livre les problèmes avec ces anticipations :

« Les organisations ne peuvent fonctionner efficacement que si les acteurs, dans le cadre d’une autonomie appelée corridor d’action, peuvent anticiper mutuellement leurs attitudes et leurs décisions. Cette anticipation est fondée sur ce qu’ils nomment common knowledge. Le mérite de cette réflexion est de considérer que les anticipations croisées sont plus qu’un mode de communication parmi d’autres. C’est un mécanisme essentiel des organisations. Mais ce dialogue collectif silencieux des anticipations, s’il est le moteur d’une organisation efficace, est aussi, son talon d’Achille, qui peut conduire à la décision absurde. »

Pour un manager, responsable d’animation de réunions de coordination, il est nécessaire de connaître les pièges des anticipations croisées des équipes