Qu’avons-nous perdu pour courir ainsi ?

Un Duc, riche puissant, convoqua de nombreux peintres pour faire décorer les murs de son palais et leur donner des indications. Tous les artistes ainsi réunis se lancèrent dans une sorte de course à l’action : sortir leur pinceau, déplier leur tapis, poser leur encrier et se mettre à peindre.
Sauf un, qui rentra chez lui.

Le Duc, intrigué, envoya l’un de ses serviteurs suivre ce « rebelle » jusque dans sa maison, ou il le trouva assis en position de méditation face à la fenêtre, contemplant la nature.

Et le Duc de s’exclamer : « celui-ci est un vrai peintre ! les autres plongent dans l’action sans retenue, lui s’y prépare. »

Qu’avons-nous perdu d’essentiel pour courir ainsi voilà l’interrogation.

Se préparer : il n’y a pas d’autre voie pour atteindre, quel que soit le registre de l’action, ce moment où, avec facilité et douceur, les choses que nous attendons apparaîtront d’elles-mêmes. Cela peut paraître une évidence, mais le mettre en œuvre au sein d’une culture qui privilégient l’action et de ce fait le gain de temps n’a rien de facile. Tout dans la ville nous pousse à enchaîner les actions, voire les paroles, sans nous y préparer tels ces artistes soucieux de répondre aux demandes du duc, nous plongeons dans l’immédiate mise en œuvre par peur de rater la cible.

A quoi faudra-t-il se préparer ? A tout. Et ce afin de ne pas céder aux pressions de la course.

Se préparer évite d’avoir à courir. Ceux qui courent en se donnant l’illusion d’aller vite se mettent en danger lorsque nous voyons des personnes ou des organisations se lancer frénétiquement à la poursuite de quelque chose, nous sommes en droit de nous demander : qu’ont-elles perdu ?

Sans doute faut-il cesser de courir pour le savoir.

Source Zhuangzi, un des livres fondateurs du Taoïsme, cité par Christine Cayrol, Pourquoi les Chinois ont-ils le temps, Tallandier 2018