Nous avons parlé dans nos derniers messages du rire. Le rire en tant facteur d’union, mais aussi de ses risques de dérapage et de dénigrement. Je voudrais poursuivre cette approche en parlant des notions de reconnaissance et d’humiliation. Je m’appuie sur des extraits d’un texte que m’a fait suivre Michel Prie. Je vous invite à lire ce texte en pensant à la vie dans votre propre milieu professionnel.
Que l’une des revendications prioritaires des jeunes de banlieues ait été : « nous voulons le respect » indique bien à quel point la quête de reconnaissance est au cœur des mouvements sociaux de notre temps. On la retrouve aussi bien chez les individus singuliers, qui peinent à trouver une suffisante estime d’eux-mêmes, que dans les groupes sociaux qui se perçoivent comme rejetés ou infériorisés. Dans notre monde, l’humiliation a remplacé l’exploitation comme principal facteur de conflit. L’heure est pourtant venue où l’on ne peut plus se contenter d’établir un constat devenu évident mais où il faut se demander sur quoi il débouche, quelles actions il peut induire. La question se pose : est-il possible d’imaginer une société capable de répondre à cette demande universelle de reconnaissance ?
Abordant de front cette question dérangeante, l’ouvrage collectif dirigé par Alain Caillé (« La quête de reconnaissance : Nouveau phénomène social total » aux Editions La Découverte (2007)) explique qu’il faut avoir l’humilité de reconnaître que nous devons remettre à plat notre perception des pathologies sociales et des thérapies susceptibles d’y remédier. Alors que nous avions l’habitude de faire tourner les conflits sociaux autour du problème de la distribution des richesses, nous découvrons qu’ils cachaient une dimension irréductible : les luttes pour la redistribution sont devenues des luttes pour la reconnaissance.
Toutes les contributions dans ce livre convergent vers une conclusion identique : la demande de reconnaissance est partout mais elle est contradictoire. Axel Honnett avait distingué trois façons d’être reconnu : être aimé par d’autres êtres humains, être reconnu dans la cité comme l’égal des autres, voir estimée à sa juste valeur sa contribution personnelle à la vie sociale. Toutefois, on s’aperçoit vite de la contradiction qui surgit entre le désir d’égalité sociale et la volonté de défendre son identité propre, entre le refus d’être différencié des autres et le besoin de se manifester comme un être singulier. Ces demandes ne peuvent être satisfaites simultanément : « nous ne pouvons pas être à la fois plus égal, plus méritant et plus autonome ».
Cela nous confronte à des questions à la fois simple et sans réponse assurée : Qui doit être reconnu ? Reconnu par qui ? Reconnaissance de quoi ?