Un guru du management méconnu : Sam Huntington

Sam Huntington (1927-2008) est un enseignant de sciences politiques surtout connu du grand public pour son livre sur le « choc des civilisations ». En fait, Sam Huntington a plus contribué aux recherches en sciences politiques par ses études sur le pouvoir politique. Ses enseignements ne sont pas dénués d’intérêt pour les sphères du changement et du mode de management des entreprises.

Commençons par une histoire : Ce guru avait été invité par le pouvoir politique US à apprécier les progrès de la guerre du Vietnam (nous sommes dans les années 60). Après avoir circulé dans le pays et rencontré de nombreuses personnes de toutes les couches de la société, il avait alors publié un rapport selon laquelle la politique mise en place conduisait à un échec. Même si le gouvernement US investissait des sommes considérables, tant en investissements collectifs qu’en aides individuelles, il était en train de perdre le soutien de nombreuses couches de la population qui lui avait été favorable. Ces populations se sentaient en sécurité au sein de communautés qui reposaient sur des liens ethniques ou religieuses. Or, la politique US, qui voulait faire du Vietnam une nation « moderne » sapaient ces communautés et minaient leur côté sécuritaire en créant une « démocratie » individualiste, loin des normes vietnamiennes.

Ce qu’a noté Huntington est troublant : souvent, le progrès dans le style occidental (plus de démocratie, une croissance rapide…) peut créer plus de problèmes qu’il n’en résout. Si un pays se développe rapidement parce qu’une grande part de sa population est active et dynamique, il faut que les institutions politiques et sociales progressent à leur tour, sous peine d’une plus grande instabilité. C’est ce qui arrive dans de nombreux pays (le Pakistan par exemple) en développement rapide mais avec des structures obsolètes. S. Huntington (SH) disait que dans les périodes de changement, les gens se repliaient, faute d’autres recours, vers leurs sources traditionnelles de sécurité : la religion, l’idéologie sous toutes ses formes…

Quittons la pensée politique de SH pour revenir aux entreprises. Celles-ci vivent de forts changements. Si vous êtes entré à France Telecom par exemple, il y a vingt ans, les valeurs professées aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec celle de service public qui était peut-être la raison pour laquelle vous y êtes entrés. Cela ne veut pas dire que vous ou l’entreprise avez raison ou tort, mais simplement que les valeurs ont changé. Certains s’en trouvent bien et s’y adaptent, alors que d’autres le ressentent comme une incompréhension, voire une trahison.

Si vous avez le sentiment que le mode d’organisation et de fonctionnement que vous avez connu est sapé par des changements incessants dont vous ne voyez ni les tenants, ni les aboutissants, bref, que votre sentiment d’appartenance et votre zone de « sécurité » disparaissent, vous risquez de vous désengager, voire de vous braquer. Cela vient très souvent, non pas de la mauvaise volonté des collaborateurs, mais de l’absence d’évolutions des structures et des modes de comportement manageriales, la direction en tête. Au niveau individuel, le désenchantement croissant des collaborateurs, la démotivation rampante et le succès de livres comme « bonjour paresse » il y a quelques années (300.000 exemplaires quand même !) traduisent ce décalage entre des dirigeants et une base déconnectée de cette nouvelle vision (mauvaise communication ? non-implication ?).

En bref, nombre de directions demandent à leurs collaborateurs d’évoluer, de changer, mais eux-mêmes ne répondent pas aux nouvelles attentes de leurs salariés en termes de reconnaissance, implication, partage de visions…

La période actuelle peut être une bonne opportunité pour recréer du sens, ressouder les équipes et bâtir un nouveau ciment social. Déjà un moindre décalage entre le discours managerial (les hommes sont la richesse de l’entreprise ») et la réalité (des charrettes de licenciements, des promesses non tenues, un manque de visibilité…) serait un bon départ.

J’ai bien mesuré cela au Vietnam où j’ai été travaillé il y a un an : le moral et le dynamisme de gens pourtant avec de faibles moyens contrastait avec notre société riche, triste et désabusée.


Heureusement que cela ne se passe pas ainsi dans votre entreprise !