Nous sommes dans l’ère du gratuit. Depuis le service gratuit à l’usage des biens et services à disposition sur internet, le gratuit s’insinue partout. Pourtant, il n’a jamais été autant une valeur économique. Paradoxe ? Un acte gratuit a-t-il encore un sens non économique ?
Le marché économique n’est plus la simple rencontre d’un acheteur (votre employeur) et d’un vendeur (vous et votre force de travail). Pendant longtemps, le prix estimé de votre travail montait ou descendait au gré du plein emploi ou des récessions. Il pouvait aussi varier selon les secteurs d’activité, les pays, les métiers…
A partir des années 1950, les écoles de la motivation nous ont montré que ce rapport n’était plus nécessairement vrai. Passé le seuil de la sécurité (selon Maslow), certains pouvaient travailler pour peu d’argent si le travail demandé avait du sens pour eux. C’est le cas des employés des ONG comme Médecins Sans Frontières (MSF) et d’autres qui y passent tout ou partie de leur carrière. C’est aussi le cas de personnes qui préfèrent rester dans leur région même sous-employés dans la mesure où ils privilégient la sécurité.
Depuis quelques années, une nouvelle révolution vient bouleverser ce paysage : le gratuit. Bien sur, vous ne travaillez pas tout le temps gratuitement mais consciemment ou non vous en utilisez les techniques. Le plus souvent, vous les mettez en œuvre selon le concept de « FREEMIUM », contraction de Free et de Premium.
Cela peut prendre plusieurs formes :
- Rendre un service gratuitement pour un temps donné (ex. donner du temps pour une association)
- Monter son savoir-faire gracieusement pour se faire connaître (ex. Les artisans dans les salons d’art)
- Faire plus dans son travail pour démonter sa valeur (ex. Accepter une tâche supplémentaire pour faire valoir son savoir-faire)
- Se faire mettre à l’épreuve (ex. Stagiaires)
- Le faire payer par quelqu’un d’autre (ex. Les sites gratuits –informations, par exemple- payés par les bandeaux publicitaires)
- Partager son savoir (ex. les forums sur internet)
- …
Vous observez deux sortes de raisonnement : le premier est basé sur l’économique = le gratuit (qui n’est pas alors réellement gratuit) est un levier qui permet d’espérer un gain supplémentaire en contrepartie à terme. C’est toute l’astuce des offres dites « gratuites ». Il faut noter que le gratuit n’est pas toujours réellement sans coût : d’une manière ou d’une autre, l’acteur économique vous fait payer ce qu’il met temporairement à votre disposition.
Le deuxième raisonnement est fondé sur le sens ancien du mot « gratuit » : autrefois « gratuit » voulait dire « sans motif, sans raison (ex. « La méchanceté gratuite »). Ce désintéressement devient aussi (par exemple dans la vie associative) un mode économique.
Finalement, les repères se brouillent : ainsi des consultants gagnent leur vie en aidant des entreprises à exporter par exemple. Des retraités spécialistes en export aident quasi bénévolement d’autres entreprises à faire la même chose.
Je me risque à dire qu’il faudra bientôt réglementer le gratuit (n’est-ce pas déjà le cas avec la loi Hadopi ?) sous peine de contaminer le système. Quand une banque comme la BNP (elle n’est pas la seule) fait appel à longueur d’année à quelques milliers de stagiaires bien formés pour tenir des postes en lieu et place de salariés, la perversion du système est visible.
Pourtant, rien ne remplacera l’acte gratuit et désintéressé, sous réserve de lui reconnaître sa pleine valeur. C’est cela le paradoxe : le vrai gratuit a plus de valeur que le payant.