Comment obéissez-vous ?


20 mars 1995, des adeptes de la secte Aum répandent du gaz sarin dans le métro de Tokyo. 18 mois plus tard, l’écrivain japonais Murakami veut comprendre et décide de rencontrer des témoins (survivants et membres de la secte).

 Ces interviews révèlent les failles d’une société où affleurent le spectre du fanatisme et la fragilité des êtres.  

Extrait d’un entretien avec un ancien membre d’Aum (non impliqué dans l’attentat)

 

La plupart de ceux qu’on a interpellé étaient des adeptes si dévoués qu’ils ont fait ce qu’on leur demandait

Murakami : Et vous, auriez-vous désobéi ?

Les dirigeants de la secte ont été malins : ceux qui ont agi ont été mis dans une situation où la secte les a déstabilisés au point qu’ils ne pouvaient y échapper. On les a rassemblés et les chefs leur ont dit : « c’est un ordre d’en haut. Vous avez été spécialement désignés ». Les chefs en ont appelé à leur fierté et à leur sens du devoir.

Si un chef que je n’appréciais pas particulièrement m’en avait donné l’ordre, je crois que j’aurais désobéi. Mais si c’était quelqu’un que j’admirais et respectais, j’aurais hésité. Et s’il m’avait dit : « je vais avec toi », je l’aurais peut-être fait. En d’autres termes, tout se ramène aux relations entre individus.

La logique ne joue pas un rôle très important dans les motivations des gens. Je me demande si ceux qui ont diffusé le gaz étaient capables d’une pensée logique quand on les a sommés de le faire. Ils n’ont pas eu de présence d’esprit, ils ont été entraînés par les évènements, affolés et ils ont fait ce qu’on leur ordonnait. Quiconque ayant la force de penser logiquement n’aurait pas fait ça.  Dans les cas de « gourouisme », le système des valeurs des individus est complétement oblitéré ; et dans de telles situations, les gens n’ont plus la force mentale pour lier leurs actions à la mort de tant de personnes.

La grande majorité n’a pas eu l’occasion d’être confronté à de telles situations (et je ne nous le souhaite pas).

Toutefois, l’interview nous interpelle : savons-nous « réfléchir » aux ordres reçus ?  Quelles sont nos capacités à dire « non » ? Est-ce notre conception de l’autorité, notre désir de plaire ou le fatalisme qui nous conditionne le plus ?