Promenade à la Fiac cette semaine. Mon regard a été arrêté par ces affiches. De quoi s’agit-il ? De 1987 à 1993, Philippe Thomas (1951-1995) a proposé aux collectionneurs de s’investir totalement dans un projet artistique qui leur serait livré clé en mains, une œuvre dont ils devenaient les auteurs à part entière et qui les faisaient rejoindre les grands catalogues et les programmations des musées. Les affiches ci-dessus font partie de la campagne de la filiale américaine.
Le texte était alléchant : « Amateur ou professionnel passionné des choses de l’art, collectionneur soucieux de vous investir totalement dans un projet artistique ambitieux, nous avons mis au point, pour vous, un programme[… ] Avec nous, vous trouverez toutes les facilités pour laisser définitivement votre nom associé à une œuvre qui n’aura attendu que vous, et votre signature, pour devenir réalité. Œuvre, dont vous deviendrez l’auteur à part entière, vous fera rejoindre les plus grands aux catalogues et programmations des meilleurs musées, galeries ou collections privées.
Pour être un artiste, vous n’avez pas besoin d’être habile de vos mains, vous n’avez pas besoin d’avoir le sens des couleurs ou de la composition ; vous avez une profonde conscience d’être en vie, vous ressentez une quête de l’intensité et de sens et, vous comprenez que le « ready-made » (« le tout-prêt ») appartient à tout le monde parce que nous sommes nous-mêmes des sujets « ready-made » (« tout construit ») jusqu’à ce que nous rompions ce sort et réinventons la vie. »
Cela m’interpelle à trois titres :
1) La notion relative de droit d’auteur. Qui ne s’est jamais fait piller une idée, un projet, une réalisation par un collègue, un supérieur, un client ? Dans le cas ci-dessus, il s’agit de se servir d’un « nègre » (au sens artistique) pour travailler à sa place. Cela n’est pas nouveau : Alexandre Dumas en a tiré pleinement parti en son temps (qui connaît Auguste Maquet ?) Plein d’auteurs et d’artistes en tous genres le font toujours aujourd’hui.
2) La confusion entre le besoin d’exister (médiatiquement), de laisser sa trace et celui de le faire par procuration. Réussir (au sens médiatique), percer, se faire voir… cela est à la fois une question de talent, de relations et de… chance. Il faut pour cela du temps et de la persévérance. Des valeurs peu valorisées aujourd’hui (d’où l’ironie du « ready-made »).
3) Nous avons chacun un talent. A nous de le découvrir et de le mettre en valeur. Le génie (et nous avons tous une parcelle de génie) a cette particularité que tout ce qu’il fait bien, il le fait facilement. Donc, il ne se rend pas compte qu’il est un génie sur ce plan. Nombre de personnes qui se valorisent ainsi ratent peut-être la mise en valeur de leur vrai talent.