Ecrire pour ne rien dire

Je me suis plongé ces derniers jours dans le livre de Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » (Éditions de la Découverte, 2020). Cette historienne a mené une longue enquête sur ce que les appelés du contingent qui ont servi en Algérie entre 1956 et 1962 ont raconté à leurs familles, épouses, enfants, petits-enfants de cette période. Le sous-titre de ce livre le résume : « enquête sur un silence familial ». 

Et pourtant, compte tenu de l’éloignement et des moyens de communication de l’époque, le téléphone est rare et coûte cher, et du danger de la situation, il fallait garder le lien et cela se faisait sous forme de courrier. 

Des extraits du livre : « La base du « pacte épistolaire » est la réciprocité. Pourquoi écrivez-vous ? « Pour qu’ils me répondent ! ». La réciprocité donne aux lettres échangées l’allure d’une conversation dans laquelle on pose des questions et on se répond. Qu’importe presque le contenu : la lettre est preuve de vie, preuve d’amour, preuve de lien, preuve qu’on n’est pas oublié. Ils sont nombreux à l’affirmer : ils écrivaient pour ne surtout rien dire d’important. C’est cette banalisation même qui témoigne le mieux de la réussite de la correspondance.  Alors que la réciprocité est gage du lien, la fréquence est révélatrice de l’intensité des liens. Une routine se met en place, qui devient vite un rituel. Or il n’est pas de rituel sans définition d’un espace particulier, plus ou moins coupé du tissu quotidien. »

A la lecture de ce paragraphe, trois idées sont venues à mon esprit :   

La première est que dans notre cocon d’aujourd’hui et de notre vie hyperactive, nous avons perdu du contact avec l’autre, rien que pour le plaisir d’échanger des banalités. Même nos SMS et WhatsApp sont laconiques et envoyés en masse à « terre entière ». 

La deuxième est que l’épreuve du Covid que nous avons vécu pendant deux ans, nous souligné, lors des périodes de confinement, les risques d’une telle situation avec les déprimes associées par exemple. « Plus jamais cela » ont dit certains. Les entreprises ont invité les managers à appeler leurs collaborateurs juste pour le plaisir d’échanger. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Dans les rues, les immeubles, les quartiers, nous prenions des nouvelles des uns et des autres. Qu’en reste-t-il ? 

La troisième est que nous, Français, nous avons beaucoup à apprendre sur ce plan d’autres cultures. Je travaille avec diverses entreprises internationales et j’ai souvent l’occasion d’animer des réunions internationales entre collègues. Que nous reprochent souvent ces interlocuteurs distants ? Le manque d’échange et de prise en compte de l’autre. Nos échanges, en tant que Français, sont souvent du style « Bonjour, ça va ? » et on passe directement au sujet à traiter.  Ce qui nous semble un exemple de convivialité est perçu par nombre de personnes comme un mode de relation froid et distant. Ces derniers aiment le « small talk » avant d’en venir aux sujets professionnels 

Faudra-t-il une guerre, une épidémie ou tout autre malheur pour que nous prenions soin de nos relations avec les autres ?