La rationalité cède le pas à la raison sensible

Dans son dernier livre «le réenchantement du monde », le sociologue Michel Maffesoli, nous parle d’une nouvelle réalité qui émerge.

Quelques bonnes feuilles

Morose ? Si la morosité et le catastrophisme est dans l’air du temps, nous vivons exactement le contraire ! « Et pourtant, elle tourne », disait Galilée à propos de la Terre, C’est la même chose pour la société d’aujourd’hui. A en croire les universitaires, les journalistes, les politiques, elle serait morose. « Et pourtant », elle mange, elle consomme, elle aime, elle rit…

Rapport au temps : c’est une dimension essentielle pour décrire une civilisation. Certaines civilisations regardent vers le passé – le culte des ancêtres, etc. D’autres vers l’avenir. Notre époque regarde vers le présent. Comme la décadence romaine, mais aussi la Renaissance – c’était le « carpe diem », Ronsard écrivant « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ». Le slogan « No future » des punks à la fin des années 1970 traduisait déjà cette accentuation du présent. L’énergie individuelle et collective est concentrée sur le présent et non plus projetée vers un avenir lointain.

Le nouveau consommateur : Celle-ci doit ajuster sa gestion, son marketing à cet accent plus grand mis sur le présent. Le client décide de plus en plus ses achats à l’impulsion. Quand il a de l’argent, il achète du haut de gamme. Quand il n’en a pas, il va dans les magasins discount. Nous quittons la société de consommation, où l’entreprise fabriquait et vendait des produits pour la longue durée. Et nous entrons dans la société de « consumation », où les produits sont conçus avec une obsolescence programmée. La recherche elle-même devient de plus en plus qualitative. Elle n’est plus tournée seulement vers l’avenir, mais aussi vers l’imaginaire. Même en astrophysique, les chercheurs s’y réfèrent de plus en plus !

Implication pour l’entreprise : comme pour la société en général, il devient moins facile de penser l’avenir à long terme de l’entreprise Le chef d’entreprise ne gère plus seulement des individus rationnels, mais des personnes aux identifications multiples. Beaucoup de salariés, surtout parmi les jeunes, n’ont plus de plan de carrière. Ils font leurs choix en fonction d’autres paramètres : l’héliotropisme, l’ambiance de l’équipe, etc. Le dirigeant qui sait intégrer ces critères dans son management peut dès lors dégager une énergie fantastique. Dans certaines conditions, les salariés sont prêts à travailler quinze heures par jour ! On l’a bien vu avec la « nouvelle économie ». Ce n’était pas seulement l’argent qui stimulait, mais aussi le rêve, l’esprit ludique et festif.

Publicité : nous avons longtemps vécu avec une idée centrale : « Ne vaut que ce qui est utile. » C’était l’utilitarisme. Régnait aussi le grand mythe du progrès, où seule comptait l’utilité à long terme. Cette conception du monde ne se suffit plus à elle-même. Il faut désormais intégrer des paramètres inutiles. C’est vrai dans la production d’objets, et aussi dans la manière de les vendre. D’où le passage de la réclame à la publicité, véritable mythologie de l’ère actuelle : on ne vante plus l’utilité d’un objet, mais on le pare, on le cerne dans une atmosphère « imaginale », on cherche à faire rêver.

Un phénomène mondial ? La France a inventé la modernité, avec Descartes, les Lumières, son Etat-nation, le jacobinisme. Elle a donc du mal à passer dans la postmodernité. Le mot même inquiète, alors qu’il fait débat partout ailleurs, des Etats-Unis au Japon en passant par le Mexique ou la Corée du Sud. Nous ne parvenons pas à accepter le retour d’un monde impérial d’entités vagues, aux contours plus flous que ceux des Etats-nations, où des baronnies s’installent. Les Français ont tendance à se crisper sur l’idée d’une République une et indivisible, alors que ce n’est qu’une des modalités d’être ensemble, d’assumer la « res publica ».