Transmettre challenge n°21 La force de savoir reconnaître ses erreurs


Les fêtes de fin d’année sont une période d’échange de bons vœux. Cela pourrait être aussi un moment où on reviendrait sur ses erreurs. 

Dans ce texte ci-dessous, Mihail Sébastian* (1907-1945) raconte dans son journal, à la date du 1er juillet 1936, un évènement qui lui est arrivé et qui l’a fortement marqué : 

« J’ai passé dimanche et lundi à B. où ma promotion fêtait le dixième anniversaire du baccalauréat.

Au lycée, ce fut plus émouvant que je ne m’y attendais. Je me suis assis à mon pupitre, assailli par les souvenirs. Goras (professeur principal) a fait l’appel, et nous répondions, chacun à notre tour, « présent ». On a entendu de temps en temps « absent » et, quatre fois, « mort ». Ensuite, quelque chose de fantastique : l’allocution de Goras.
« Messieurs, entre la chaire et la classe, entre les professeurs et les élèves, des malentendus surviennent immanquablement, et certains sont très douloureux. Or, croyez-moi, ils ne laissent pas dans le cœur des professeurs, moins de traces, moins de regrets, que dans celui des élèves. Pour ma part, je porte depuis dix ans un souvenir qui m’a fait beaucoup de mal et dont je suis heureux de pouvoir m’affranchir aujourd’hui en le confessant. Il concerne l’un des plus brillants parmi vous. J’ai nommé H.

Il était en seconde et il avait obtenu un prix de roumain. A la fête de fin d’année – je ne comprends toujours pas comment c’est arrivé-, lors de la distribution, j’ai oublié d’appeler son nom. Il faisait chaud, j’étais fatigué, accablé de soucis, ce qui explique peut-être mon omission.  Une chose est certaine : je ne l’ai pas fait exprès. Je m’en suis rendu compte après la cérémonie et je suis allé trouver H. Il m’a dit alors un mot qui m’a énervé et j’ai répliqué très durement. Je l’ai regretté aussitôt. Je me suis rendu compte que je commettais une erreur. Mais il était trop tard.

Je tiens à lui dire aujourd’hui devant vous, devant vous tous, combien j’ai souffert à cause de cette injustice que je lui ai fait subir. Je lui assure que je n’ai pas attendu pour m’en souvenir que tant d’années aient passé. Ce n’est pas le chemin brillant qu’il a parcouru depuis dans la vie, ni ses beaux succès littéraires qui me font parler ainsi.  J’ai été affligé dès le premier instant. Je voulais, bien plus tôt déjà, le prier de m’excuser. Cela ne s’est pas fait. Je n’ai pas pu. J’ai essayé un jour, mais je me suis rendu compte que c‘était très difficile. Je le fais aujourd’hui et, sachez-le, je suis heureux que ce soit devant ses camarades. Si cela est possible, il comprendra et pardonnera. »

* Mihail Sébastian était un auteur roumain réputé, ami de Mircea Eliade et Ionesco. Il raconte, dans son « Journal », paru chez Stock en 1998, sa vie et notamment la montée des extrémismes et la guerre en Roumanie. Il y survécut tant bien que mal et mourut en mai 1945, écrasé par un camion, alors qu’il allait donner son premier cours de littérature à l’université, dans une Roumanie en paix.