Le temps est à l’urgence. Tout est urgence. En Occident, nous courrons contre le temps dans une agitation permanente qui nous donne le sentiment d’exister. Nous croyons être des papillons qui virevoltent d’un sujet à l’autre, mais en fait nous sommes plus souvent des chenilles qui se prennent pour des papillons.
Il m’est arrivé d’animer des groupes de Chinois et de Vietnamiens et j’ai toujours été étonné par leur capacité à dormir une heure après le repas avant de reprendre, frais et dispos, leurs activités aussi urgentes et diverses que les nôtres.
Le philosophe chinois Zhuangzi (IVème siècle avant J.C) raconte que s’arrêtant pour dormir, il rêve qu’il s’est transformé en papillon. Il ne sait plus s’il est un papillon qui rêve d’être un philosophe ou un philosophe qui s’imagine en papillon.
Cette histoire peut nous sembler naïve, mais elle nous interroge. Lorsque le corps cesse pense, il lâche prise sur la réalité. Il s’envole et enfin respire. Pour le philosophe, cette respiration et cette détente ne sont pas un complément utile de l’action, mais le fondement même de la sagesse et de la santé. Trop collée à la réalité, l’action perd sa souplesse et sa puissance. L’homme sage sait attendre, respire, dort et par là-même rêve. En quittant une situation où il risque de s’engluer, il cherche un recul pour trouver une autre issue en posant les yeux ailleurs.
Si en Asie le temps de sommeil est un temps précieux dont il est bon de profiter dès que la situation le permet de le faire sans aucune culpabilité, c’est parce qu’il révèle la profonde sagesse de la faculté à rêver ou à s’absenter mentalement en plein jour.
Les papillons que nous sommes ont besoin de cette « poche de rêve » fine et subtile qui les enveloppe et leur permet d’éclore.
Autrement, nous restons de rester chenille, au ras du sol, toujours épuisés, mais jamais transformés.
N’ayez aucune culpabilité à « dormir », à rêver dès que la situation le permet.