Voyager, mais pas trop

Montaigne a été un grand voyageur pour son époque. Il circula aussi bien en France qu’en Suisse, Allemagne ou Italie. Cela supposait 8 à 10 heures de cheval par jour. C’était pour lui un exercice propre à la réflexion, une méthode qui associait plaisir, mouvement, découverte et en même un temps disponible favorable à la méditation. Les techniques d’apprentissage par la gestuelle aujourd’hui ou les méthodes de pleine conscience en marchant ou courant utilisent les mêmes ressorts. 

Si Aristote pensait en marchant et en déambulant, Montaigne trouvait ses idées en chevauchant. En bref, un précurseur du « management by walking around »  où le manager circule parmi ses collaborateurs plutôt que de les attendre assis à son bureau. 

Cette approche relancée dans les années 70 et mis en lumière par Tom Peters et Robert Waterman facilite les échanges, la transmission de savoir et savoir-faire dans les deux sens et brise les « murs hiérarchiques ».  Depuis, le développement des modes projet et du télétravail l’ont remis un peu en question. 

Ces mouvements et ces échanges informels ont aussi leurs limites. Trop voyager, trop circuler, selon Montaigne, c’est aussi se montrer incapable de s’arrêter, se décider, se fixer. Nous pourrions transposer cette image dans nos réunions modernes : trop de réunions peuvent avoir des effets négatifs sur l’exécution. Nos entreprises sont pleines de « comité Théodule »  toujours prompts à produire un rapport, à émettre une recommandation ou à rédiger un livre blanc. 

Nous pourrions transposer cela sur le plan de l’apprentissage. Apprendre, c’est bien, mais encore faut-il avoir un but, une application, un besoin. Bien sûr, il y a l’importance à accorder à la réflexion et à l’ouverture d’esprit. Mais c’est le plus souvent l’application qui permet d’enraciner et de consolider nos savoirs.

Aussi, nous devons penser à nous fixer une vision, un but, un objectif et l’ancrer en nous avant de laisser notre esprit vagabonder et ensuite à chercher à l’appliquer. Évident ? oui mais de nombreux personnes apprennent sans savoir à quoi cela leur est utile. Il n’y a pas que les élèves du secondaire pour penser cela. Combien d’entre vous sont partis en formation sans savoir pourquoi ils y sont envoyés et le rapport avec leur activité ? 

Nous n’avons pas le loisir, comme Montaigne, de pouvoir laisser notre esprit flotter au gré de nos inspirations. Alors, ne voyageons pas trop, mais mieux. N’apprenons pas trop, mais mieux. Ne transmettons pas trop, mais mieux. 

Adapté librement d’un texte d’Antoine Compagnon, « Un été avec Montaigne », Éditions des Équateurs, 2013