La vie professionnelle après 40 ans

Dans son livre « la part de l’autre » (Albin Michel, 2001), Eric-Emmanuel Schmitt imagine un Adolf Hitler (AH) admis à l’école des Beaux-Arts de Vienne et les conséquences qui s’en suivirent. 

AH devient un peintre assez connu, fréquentant l’École de Paris à Montparnasse entre les deux guerres, puis ruiné par la crise de 1930 rentrant à Berlin pour devenir professeur. 

« Après quarante ans, un artiste n’a plus d’illusions sur lui-même. Il sait s’il est un grand artiste ou un petit. 

A vingt ans, tout est songe, suspendu dans les nuages. A quarante ans, une partie de nos rêves est devenu la matière de nos vies. On a peint, on a produit, on a eu le temps de se tromper et de se reprendre, on a eu le loisir de repousser ses limites. A quarante ans, la technique a fini par être acquise et l’énergie demeure intacte : on sait enfin et l’on peut encore. Si on n’a pas produit un chef-d’œuvre, ou même l’amorce d’un chef-d’œuvre, alors la partie est finie.

Oui, on excuse l’absence de fermeté du trait, la timidité de la couleur, les hésitations de la composition tant que le peintre est en devenir. Certes, on voit des monstres, tels Picasso ou Bernstein (un des personnages du livre), qui, à dix-sept ans, sont déjà péremptoires. Mais, en face de ces évidences, on se dit qu’ils sont nés génies avec leurs moyens de génie alors que d’autres mettent des années à acquérir les moyens de leur génie. On attend, on espère. On se demande de quoi on va accoucher. Que donnera le travail ? Un prématuré ? Deux prématurés ? Trois fausses-couches ? Peu importe. Il faut continuer. On doit accoucher de soi-même. On a rendez-vous avec un inconnu lointain, le peintre que l’on est. A quarante ans, le bébé est venu. Pour les uns, c’est une grande surprise, c’est un géant. Pour d’autres, c’est agréable, c’est un vivant. Pour quelques-unes, c’est dramatique, c’est un mort-né, un petit cadavre qui leur reste sur les bras et qui rend vaines toutes les années d’effort.

Alors, puisque j’aime la peinture avec passion, puisque je l’aime plus qu’elle ne m’aime, j’ai décidé de devenir enseignant. Votre professeur. Transmettre. J’ai trouvé ma place. Et je suis devenu heureux.