L’étrange défaite…de la curiosité

Officier d’État-Major en 1940, Marc Bloch, engagé volontaire – il avait 54 ans à l’époque-, a écrit quelques semaines après l’armistice un livre de réflexion sur ce qu’il avait vécu. Historien de formation, il observait, entre autres, que l’État-Major avait pensé et vécu cette guerre à partir des leçons de 14-18 et n’avait pas pris en compte que le monde avait changé. L’auteur avait regretté que tant les militaires que les politiques étaient enfermés dans leurs certitudes. Il y voit une faillite du système de formation des élites : 

« Alors que les écoles anglaises s’efforcent d’encourager le hobby, la marotte de l’esprit,- herbiers, collections de pierres, photographie, que sais-je encore ? – les nôtres détournent pudiquement les regards de toutes ces fantaisies. » (Marc Bloch, L’étrange défaite, Folio, 1990)

Or, comme il le souligne plus loin : « (…) l’histoire est, par essence, science du changement. Elle sait et elle enseigne que deux évènements ne se reproduisent jamais tout à fait semblables, parce que jamais les conditions ne coïncident exactement. Ses leçons ne sont point que le passé recommence, que ce qui a été hier sera demain. ». 

Ce texte m’interpelle sur trois niveaux :

Le premier est à titre personnel : sommes-nous, chacun d’entre nous, curieux et avons-nous des sujets de curiosité hors de toutes préoccupations familiales ou professionnelles ? En bref, nous accordons-nous le droit à vagabonder librement par moments ?


Le deuxième est à titre social : comment notre famille (au sens large) et/ ou nos amis, relations… voient-ils cette curiosité ? Nous envient-ils ou nous disent-ils (directement ou non) : « il ferait mieux de… ». Est-ce que cela a évolué dans le temps ?


Le troisième niveau est à titre professionnel : vous accorde-t-on le droit de vagabonder (à l’instar de Google qui encourage ses salariés, pour 10 à 20% de leur temps, à faire leur propres recherches) ou bien est-ce la loi du rendement à court terme ?


Si, globalement, j’observe que les choses ont bien évolué sur les plans personnel et social, je note une régression sur le plan professionnel avec des contraintes de temps et de charges de travail de plus en plus fortes. Résultat : le travail est fait de manière mécanique (et sans valeur ajoutée) et l’implication diminue.

Avons-nous vraiment évolué au niveau curiosité ?