Peut-on mesurer le niveau de stress d’une entreprise ?

De nombreuses entreprises font réaliser des études de niveau du stress interne. La tendance générale va dans ce sens avec les propositions du rapport Legeron-Nasse qui préconisent l’élaboration d’un indicateur global du stress professionnel en France, le développement de nouveaux indicateurs spécifiques par secteur d’activité, le recensement des suicides au travail et les causes associées… Quelle est leur valeur ?

Un indicateur utile, mais à relativiser

Cet indicateur est utile : il identifie les facteurs de stress propres à une entreprise. Ce travail peut aussi donner une bonne indication de ce qui est perçu comme stresseur, il indique le niveau de stress ressenti pour chacun de ces facteurs, il permet d’apprécier les conséquences pour les individus.

Il est aussi à relativiser : Les causes de stress ne sont pas forcément les mêmes pour toutes les populations de l’entreprise. Ainsi, celles d’un ingénieur de bureau d’études peuvent être différentes de celles d’un commercial ou d’un technicien appelé à intervenir dans des quartiers difficiles. Par ailleurs, la majorité des données étant déclaratives, la valeur absolue a peu d’intérêt : le questionnaire est plus un outil de mesure d’évolution des tendances et a surtout besoin d’être manié par des experts disposant de normes étalonnées.

Intéressez-vous à leur philosophie sous-jacente

Au delà des chiffres, la comparaison des indicateurs est chose difficile parce qu’il existe plusieurs grandes écoles qui ont chacune une philosophie différente :

  • les approches transactionnelles (exemple : Richard Lazarus 1922-2002, psychologue américain, et son approche interactionnelle) où comment transformer les représentations que nous nous faisons des évènements. Ces évaluations font l’objet de stratégies d’adaptation (« coping » en anglais) qui permettent de réajuster la perception de l’évènement
  • les approches causalistes qui mettent en évidence des facteurs de stress dans des situations qui dépassent les capacités d’adaptation des individus ; ainsi le modèle de Robert Karasek, sociologue américain, qui est formé sur le couple demande-autonomie du travail. Ce questionnaire d’évaluation collective du bien être au travail, publié dans les années 1990, permet d’apprécier globalement la santé mentale au sein d’une entreprise.

  • les approches théoriques du stress et de la souffrance physique au travail (modèle Siegrist) qui font appel à la notion effort-récompense.

Les limites des échelles du stress

Les échelles de stress sont généralement construites sur le même modèle : un certain nombre de questions visant une évaluation subjective par le répondant de son humeur ou des effets de l’environnement. Par exemple : « Je suis émotif, sensible aux remarques d’autrui » ; « Vous êtes-vous senti irrité parce que des évènements échappaient à votre contrôle ? » ; « Après avoir terminé une tâche, je peux être soucieux et ruminer des pensées négatives à son sujet », etc.

Ces questions portent généralement sur des dimensions individuelles et pratiquement jamais sur des indicateurs permettant d’objectiver de façon collective les conditions de travail. La conception théorique sous-jacente est que le stress serait provoqué ou aggravé par le type de réponse individuelle aux difficultés (imaginaires ou réelles) de l’environnement de travail.

Dès lors, la « solution » qui vient en premier pour limiter le stress est d’amener les personnes à changer leur perception des contraintes pour les rendre « acceptables ». Du coup, les salariés sont invités à contrôler leur score de stress comme s’ils devaient contrôler leur poids ou leur taux de cholestérol ! Une telle approche peut être culpabilisante, et augmenter l’angoisse de ceux qui en sont le sujet.

Les limites des approches individuelles : elles négligent les aspects environnementaux et peuvent faire porter la responsabilité du stress sur la personne => culpabilisation. Les limites des approches collectives : elles reposent sur un lien de causalité directe entre les facteurs organisationnels et/ou individuels et le stress et se basent sur une relation linéaire ne tenant compte ni de la subjectivité humaine, ni de la criticité

Pour autant, cela ne doit pas nous conduire à condamner en bloc l’usage des échelles quantitatives. Leur intérêt scientifique (comparabilité des études, mise en évidence de corrélations statistiques, etc.) et stratégique (convaincre des interlocuteurs de l’existence d’un problème de souffrance au travail) n’est plus à démontrer. Mais il ne faut pas oublier que ces outils ne mesurent qu’une conception parmi d’autres du stress. Et surtout il faut expliquer aux salariés les limites de l’exercice. Il serait donc utile de compléter les mesures globales du stress par des études plus qualitatives sur des secteurs particuliers, et la façon dont la vie collective au travail y est rendue possible ou non.

Extrait du livre « favoriser le bon stress dans l’équipe » de Gérard Rodach (Eyrolles, 2009)