Faut-il relancer le métier d’aboyeur ?

Nos gloires secretes

« L’aboyeur apparut portant les signes distinctifs qu’exigeait sa fonction : une queue-de-pie noire dont les revers étaient reliés par une chaîne en argent, des gants blancs, une médaille épinglée au gilet, une baguette à pommeau d’ivoire. Il pouvait désormais recevoir le visiteur et clamer son nom dans l’assistance.

Pendant le court instant que durait l’annonce retentissante de son arrivée, l’invité, tout à coup tiré de son anonymat, se sentait reconnu, honoré, c’était là sa minute de gloire. L’aboyeur avait ce talent de faire d’un inconnu un être d’exception : on lui soufflait timidement un nom à l’oreille, et de sa voix de stentor, il le restituait avec autorité. Le manant passait pour un souverain, le roturier pour un aristocrate, le quidam pour un notable. Le nom le plus banal, le plus commun, le plus familier, se voyait doté d’une particule invisible et d’un quartier de noblesse imaginaire.

Ce métier existait aussi dans l’Antiquité, on appelait cela un nomenclateur. Un esclave romain était chargé par son maître de lui nommer les notables qu’il était bon de saluer ou d’éviter afin de servir sa carrière. »

Un métier à relancer ?

Né en 1961, Tonino Benacquista voit en 1991, sa carrière d’auteur décolle avec « La Commedia des ratés » qui rafle trois prix littéraires. Il est, à date, auteur d’une vingtaine de romans, pièces et autres BD. Le texte ci-dessus est extrait de son livre « Nos gloires secrètes », un recueil de nouvelles.