Cherchez votre point aveugle

Dans une de ses nouvelles, « Drive my car », l’écrivain japonais Haruki Murakami imagine le dialogue suivant : deux hommes, qui ont aimé la même femme, partagent ce qu’ils ont perçu d’elle. A l’un qui dit qu’il ne lui semble pas l’avoir bien comprise, l’autre répond : 

« Nous, les hommes, nous ne savons jamais vraiment ce que pensent les femmes, vous ne croyez pas ? Voilà tout ce que je voulais dire et c’est valable pour n’importe quelle femme. 

Je pense donc que vous n’êtes pas le seul à avoir un point aveugle. Et si point aveugle il y a vraiment, alors nous devons tous vivre avec. Il ne faut pas être aussi dur avec vous-même. Vous aurez beau penser que vous avez compris quelqu’un, que vous l’avez aimé, il n’en reste pas moins impossible de voir au plus profond de son cœur. Vous aurez pu vous y efforcez et vous n’aurez réussi qu’à vous faire du mal. Vous ne pouvez voir qu’au fond de votre propre cœur, et encore, seulement si vous le voulez vraiment, et si vous faites l’effort d’y parvenir. 

En fin de compte, notre seule prérogative est d’arriver à nous mettre d’accord avec nous même, honnêtement, intelligemment. Si nous voulons vraiment voir l’autre, nous n’avons d’autre moyens que de plonger en nous-même. »

Un beau texte qui montre la complexité du rapport homme / femme, et plus globalement, le rapport entre les êtres humains.

Ce qui m’a interpellé dans ce texte, c’est la transposition que nous pouvons en faire au monde de la transmission…à nos enfants, collègues, collaborateurs…. Nous imaginons souvent la transmission au niveau du geste technique, comme quelque chose de rationnel. 

Dans un monde changeant en termes d’environnement et de technologie, notre transmission « technique » n’est qu’une partie de l’ensemble. Ce qui est plus important est l’intérêt du métier, du geste et l’envie d’apprendre en permanence et de se remettre en cause. 

A titre d’exemple, j’accompagne à date des techniciens qui ont trois mois pour former un tutoré, quand bien même, il faut à leur avis trois à cinq ans pour devenir un bon professionnel. Ce chemin que le tutoré parcourra plus ou moins seul ne peut bien se passer que si le tuteur lui a transmis plus que de la technique. Or, les tutorés étant tous différents, seuls les transmetteurs qui auront fait leur propre examen de conscience et réellement transmis ce en quoi ils croient, par leur gestes, postures et comportements, pourront donner un maximum de chances aux tutorés de réussir. 

Interrogeons-nous si nous effectuons ce travail de réflexion lorsque nous souhaitons ou devons transmettre. 

Cela est utile aussi bien pour lui que nous. C’est à ce titre seulement que la transmission est quelque chose qui nous fait grandir… ou nous confronte à nous-même lorsque nous le faisons à contrecœur.

Extrait de « Drive my car », nouvelle du recueil « des hommes sans femmes », Haruki Murakami, 10/18, 2018