J’ai traité la semaine dernière du risque de la démesure dans le confinement. Le fait de se retrouver plus ou moins seul, avec des contacts plus moins épisodiques avec des collègues. Ce sentiment d’autonomie dans le travail, cette liberté relative peut pour certains se traduire par de la démesure « positive » (« je suis trop bon, je ne suis pas reconnu à ma juste valeur) ou négative (« je ne suis bon à rien »).
Cette démesure (l’hybris ou l’hubris des Grecs) n’est pas seulement l’apanage des confinés.
Cela peut être aussi le risque de l’expert et plus généralement de celui qui en charge de transmettre à d’autres.
La position « haute » du « donneur de leçons » est compréhensible. Il est reconnu, qualifié et a un savoir nettement supérieur (dans son domaine) aux apprenants.
Le risque est d’oublier que cette supériorité est limitée au domaine technique et dans le temps.
Comment éviter de perdre la tête et d’oublier ses limites ? Le sachant devrait se nourrir de deux histoires antiques : la première est des généraux romains victorieux qui obtenait du Sénat romain le droit à un triomphe, c’est-à-dire à défiler dans Rome avec ses soldats et son butin de guerre. Pour lui éviter la démesure et le rappeler à sa place, il était accompagné sur son char par un homme qui lui rappelait sans cesse que la « Roche Tarpéienne est proche du Capitole » : la Roche Tarpéienne est un rocher dans Rome d’où l’on précipitait les condamnés à mort.
La deuxième anecdote est celle de la tragédie grecque : toutes les grandes tragédies ont pour but de rappeler aux hommes que l’excès conduit au châtiment des dieux. Elles avaient pour but de provoquer une catharsis, une libération de la démesure.
Comment le sachant, et nous sommes à tous à un titre ou un autre un sachant, peut éviter la démesure et faire sa catharsis ?
Ce n’est pas si simple : on attend du sachant une réaction « critique , un jugement rapide et sûr. Nous doutons d’un expert qui hésite.
Or, il arrive souvent que dans la situation présentée, les personnes en action ne sont plus des débutants et ont une capacité à analyser par eux-mêmes.
C’est alors que le sachant doit faire preuve d’écoute. Le questionnement ouvert devient clé pour à la fois s’imprégner de la situation et permettre à l’apprenant de grandir par son propre raisonnement.
Apprendre à écouter n’est pas une chose simple : c’est passer du rôle d’expert à celui de la pratique de la maïeutique, la discipline prônée par Socrate.
Cela suppose aussi du respect pour l’autre et d’accepter l’erreur.
Je terminerai en faisant le lien avec le développement de la réflexivité dans la pratique professionnelle (type AFEST). Il y avait un fossé entre le tuteur et le mentor et ce besoin est en train de se combler. J’y reviendrai.