La transmission au-delà des mots

Tout au long de sa vie, Antoine de Saint Exupéry (1900-1944), a écrit ses pensées sous la forme d’un texte où un roi berbère enseigne la vie à son fils. Ce texte inachevé (« Citadelle », Folio, 2000), a été publié après sa mort. Il s’agit d’un texte, qui nous interroge à la manière des Essais de Montaigne. Parmi ces pensées, une a plus particulièrement retenu mon attention. Celle à propos de la transmission du savoir, à l’heure où celle-ci se résume souvent à des formations courtes, voire en e-learning.

« Il me paraît bien évident que, si je disposais d’une humanité encore inanimée et si je voulais l’éduquer et l’instruire et la remplir des mêmes mille mouvements divers, le pont du langage n’y suffirait point. Car certes nous communiquons, cependant les mots de nos livres ne contiennent point le patrimoine.. 

Ainsi de mon armée, s’il ne s’établit point de l’un à l’autre la continuité du contact qui fait de cette armée une dynastie sans rupture certes, ils recevront les enseignements de leurs caporaux et de leurs capitaines, mais les mots dont disposent ces derniers ne sont que réservoirs infiniment insuffisants pour transmettre de l’un à l’autre un acquis qui ne peut pas se dénombrer et ne s’exprime point en formules. 

Car il s’agit d’attitudes intérieures, et de points de vue particuliers, et de résistances, et d’élans et de systèmes de liaison entre les pensées et entre les choses… Et si je veux les expliquer ou les exposer je les démonte en leur parties et il n’en reste rien. 

Si vous rompez une fois le contact entre le meunier et son fils, alors vous y perdrez le plus précieux du moulin et sa morale et sa ferveur et les mille coups de main qui ne s’expriment pas et les mille attitudes et qui se justifient mal par la raison mais qui sont, car il y a plus d’intelligence dans les choses telles qu’elles sont que dans les mots. 

Et vous faites de l’homme une bête primitive et nue, ayant oublié que l’humanité dans cette démarche est celle d’un arbre qui croît et se continue de l’un à l’autre, comme la puissance de l’arbre dure à travers ses nœuds et ses torsades et la division de ses branches. »

J’ai le cas en tête d’une entreprise qui formait ses techniciens lors de stages de trois mois. Puis, cela a été éclaté en quelques stages d’un total de six semaines étalées sur un an. Et maintenant, ces mêmes stages sont en train de se réduire, les techniciens étant invités à consulter la documentation électronique et à appeler l’assistance technique. 

Y-a-t-il une corrélation entre cette évolution de la transmission et le turnover grandissant des jeunes embauchés ? Les causes en sont multiples, mais cette perte de sens en est bien une. 

Et vous, que faites-vous à ce sujet ?