Pour des rues sans paroles ?

Un extrait d’un roman de Mo Yan (prix Nobel de littérature 2012). Dans ce livre, Mo Yan raconte la vie d’une famille chinoise de la campagne, depuis l’invasion japonaise jusqu’au néo-capitalisme d’aujourd’hui au travers des tribulations de son héros « Jintong ».

Un extrait du livre
A l’entrée de la rue des restaurants était accrochée une haute pancarte verticale sur laquelle il était écrit : « le silence est d’or. Ici, la bouche ne sert qu’à manger, pas à parler. Si l’on est capable de résister, on sera récompensé. » Les lampes rouges rutilaient, des fumées roses montaient en volutes, les patrons des étals lançaient des clins d’œil aux clients ou leur adressaient un signe : la rue toute entière était plongée dans une atmosphère de mystère et de cachotterie. Des groupes de garçons et de filles respectaient scrupuleusement l’interdiction de parler, dans une atmosphère étrange et joyeuse qui ne ressemblait ni à une mauvaise plaisanterie, ni à une situation cocasse. Jintong (le héros du livre) eut la profonde sensation que, dans cette rue silencieuse, les barrières étaient tombées entre les hommes. L’enjeu suprême consistait à s’autocontrôler consciemment afin de transformer sa bouche en une sorte d’organe à fonction unique qui n’attirerait aucun ennui.

Nous parlons beaucoup, nous voyons ce que nous voulons voir et nous écoutons peu. Quant à l’odorat et au toucher, ils sont presqu’au point mort dans notre univers professionnel.
Le texte ci-dessus me fascine parce qu’il attire notre attention sur notre mauvais usage des sens, notre gaspillage devrais-je dire ! Des expériences diverses comme les journées sans mail ou bien les restaurants dans le noir nous révèlent que nous utilisons mal notre attention.
Pourquoi ne pas instaurer un journée du silence (et nous parler par signes ou par affichette), une autre sur l’intuition, une autre encore sur… ce que vous voulez, mais dans tous les cas le but est de réapprendre à percevoir l’autre comme un tout, à le reconnaître, à l’écouter. Peut-être qu’à ce moment-là, comme pour Jintong, les barrières entre les hommes tomberont.